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Didier Lenfant (CFTC) : “Le dialogue social dans la fonction publique doit être modernisé”

PAR BASTIEN SCORDIA
30 novembre 2022, 12:21, mis à jour le 30 novembre 2022, 15:47
https://acteurspublics.fr/articles/didier-lenfant-cftc-le-dialogue-social-dans-la-fonction-publique-doit-etre-modernise

À quelques jours de l’ouverture des élections professionnelles dans la fonction publique, Acteurs publics est allé à la rencontre des représentants syndicaux pour prendre le pouls d’un événement qui revêt de nombreux enjeux et pour lequel la participation reste la grande inconnue.

Didier LENFANT - Interview du Président de la Fédération CFTC des Agents de l'Etat par Acteurs Publics
Didier LENFANT

Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous à l’approche des élections professionnelles de décembre ?

Les élections professionnelles de décembre vont être un grand moment pour la démocratie sociale, une valeur à laquelle la CFTC est fortement attachée. Avec l’ensemble des équipes CFTC de la fonction publique, nous sommes positifs et force de propositions dans cette campagne. Nous sommes fortement mobilisés pour faire connaître notre programme et notre façon de négocier, en lien avec la situation difficile que vivent nombre d’agents au regard de la crise sanitaire et économique que nous subissons. Nous sommes pragmatiques et nos revendications sont claires pour améliorer rapidement le quotidien des agents et leur donner des perspectives pour leur avenir professionnel.

La participation était passée sous la barre des 50 % pour la première fois en 2018. Quelles seraient les conséquences d’une participation encore en baisse à l’issue de ce scrutin ? Ne serait-ce pas un mauvais signal pour le dialogue social ?

Les élections politiques récentes montrent un désengagement des citoyens vis-à-vis du vote. Les agents publics sont bien évidemment aussi concernés par ce phénomène. Les élections professionnelles de décembre vont se dérouler massivement sous forme dématérialisée et sur plusieurs jours, ce qui est un grand changement dans la façon d’exprimer les votes par rapport aux élections de 2018. Nous pouvons craindre un refus des électeurs d’adopter ce processus nécessaire au vote, que ce soit pour des raisons de rejet des outils numériques, par manque d’intérêt à rechercher et à conserver les identifiants et les mots de passe qui leur sont adressés par des canaux de distribution différents ou par crainte que la confidentialité du vote ne soit pas assurée. Un taux de participation qui serait encore en baisse par rapport aux élections de 2018 nous amènerait vers des taux de participation que nous avons connus lors des suffrages politiques récents. Cela démontrerait que la négociation et le dialogue social que mènent les syndicats avec les employeurs publics n’arrivent plus à convaincre suffisamment les agents publics. Cela démontrerait également qu’il faut moins de technocratie et plus de pragmatisme lorsque l’on veut sincèrement faire aboutir les discussions et obtenir des résultats concrets. Les agents se lassent des belles paroles non suivies d’effet.

La participation observée en 2018 ne peut qu’interroger sur l’avenir du dialogue social dans la fonction publique et sur la légitimité des organisations syndicales à porter les revendications du personnel. Preuve en sont les faibles taux de grévistes enregistrés lors des derniers appels à la mobilisation. Les syndicats doivent-ils revoir leurs moyens et méthodes d’action ?

En corollaire à la fin de ma réponse à la question précédente, il est évident que les syndicats doivent revoir leur façon d’aborder les sujets et la façon de négocier. Nous constatons que les agents publics sont moins enclins à manifester et à faire grève. Pour la CFTC, le dialogue social est particulièrement important, avec une réelle envie de proposer des solutions innovantes et raisonnables. Il est nécessaire que les employeurs publics et le gouvernement soient dans cette même approche pragmatique afin que des résultats tangibles soient rapidement mis en avant. C’est par cela que nous redonnerons l’envie aux agents publics d’aller voter et plus de confiance dans leurs représentants syndicaux et leurs employeurs publics.

Ne craignez-vous pas une baisse de la participation du fait notamment de la réduction du champ de compétences des commissions administratives paritaires (CAP) ? Votre action au sein de ces commissions était en effet jusqu’à présent l’un des principaux motifs d’adhésion des agents publics à vos organisations syndicales…

Les CAP ont perdu, via la loi de transformation de la fonction publique de 2019, leurs prérogatives en matière de mobilité et d’avancement, elles ne gardent que les recours individuels dans leur périmètre. Cela étant, via les lignes directrices de gestion combinées à un dialogue social de qualité, nous arrivons à porter intelligemment les sujets concernant l’avancement et la mobilité des agents auprès des autorités administratives décisionnaires. C’est une nouvelle façon de travailler sur ces dossiers que les représentants de la CFTC maîtrisent parfaitement. Je dirais donc, à la lumière des échanges que nous avons avec les agents, que cette transformation ne devrait pas être un frein à l’expression des votes.

Quel regard portez-vous sur l’état du dialogue social dans la fonction publique aujourd’hui ?

Le dialogue social dans la fonction publique doit être modernisé car les jeunes générations ne comprennent plus la faible réactivité dans un monde qui va de plus en plus vite. Il semblerait que le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques [Stanislas Guerini, ndlr] ait cette volonté au regard des échanges que nous avons eus avec lui et ses équipes ces derniers mois. L’année 2023 devra être celle des avancées concrètes afin de redonner du souffle au dialogue social et une vraie attractivité aux emplois publics.

Un chantier des carrières et des rémunérations sera lancé en 2023. Qu’en attendez-vous ? Quelles sont vos revendications à ce propos ?

Pour la CFTC, c’est l’ouverture du chantier que nous demandons de longue date car la perte de 20 % de pouvoir d’achat en vingt ans pour les agents publics ne peut pas nous satisfaire, sachant, de plus, que cette perte de pouvoir d’achat des actifs se retrouve également dans le niveau des pensions des nouveaux retraités. Cette situation ne peut pas perdurer ainsi et des orientations ambitieuses doivent rapidement être mises en place pour les nouveaux entrants, mais également pour tous les agents en activité. La CFTC revendique une dynamisation des carrières via l’augmentation des taux de promotion, des raccourcissements de durée des échelons, des ratios plus importants de postes ouverts pour les changements de corps, un accompagnement plus conséquent de la mobilité professionnelle et une meilleure adéquation des rémunérations des agents contractuels en fonction des postes occupés et des compétences nécessaires.

Le gouvernement souhaite mettre en place des accélérateurs de carrière et développer la rémunération au mérite. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Pour la CFTC, ce sujet doit être regardé de près car il ne faudrait pas que les accélérations de carrière ou la rémunération au mérite de certains se fassent au détriment d’un grand nombre d’agents fort méritants. La difficulté, concernant la rémunération en lien avec des objectifs, tient à l’appréciation qui en est faite, sur quels objectifs, comment sont-ils appréciés, avec quelle objectivité, sur quels critères ? Le management par objectifs individuel est déjà grandement intégré dans la fonction publique via les entretiens individuels annuels d’évaluation, et nous pouvons en constater de nombreux travers. La valorisation d’objectifs collectifs à l’échelle d’un service mériterait d’être regardée de plus près.

Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, a fait de l’attractivité l’une de ses priorités. Ce renforcement de l’attractivité de la fonction publique passe-t-il nécessairement par la rémunération ? Ou par quoi d’autre ?

La rémunération est bien évidemment un facteur majeur d’attractivité, surtout quand elle a été fort mise à mal pendant de nombreuses années. Le rattrapage est maintenant indispensable et les perspectives de carrière doivent être affichées afin de redonner envie aux agents de travailler pour les employeurs publics. Cependant, il y a aussi d’autre facteurs d’attractivité sur lesquels nous pourrions avancer, à l’instar de l’amélioration de la qualité de vie au travail, de l’accompagnement social et des retraites complémentaires.

Quel regard portez-vous sur l’accroissement de la place prise par les contractuels dans la fonction publique ? Faut-il davantage réguler le recours à ces contractuels ?

Les contractuels devraient être recrutés sur des postes qui ne peuvent pas être pourvus par des titulaires. Cela sous-entend une gestion des ressources humaines rigoureuse, avec une bonne anticipation des besoins car sinon, c’est la solution de facilité qui fait croître le nombre de contractuels. Cette question fait également ressortir la problématique de la professionnalisation des ressources humaines et de l’implication des décideurs dans la stratégie.

Le nombre de contractuels étant de plus en plus important, faut-il désormais mettre en place une justice prudhommale dans la fonction publique ?

Même si cette proposition pourrait avoir du sens eu égard à la nature de certains emplois d’agents contractuels, la nature du contrat étant de droit public, la seule instance habilitée à juger un litige professionnel reste le tribunal administratif. La CFTC n’est pas pour l’instauration de contrats de droit privé dans la fonction publique.

Quelles sont vos propositions s’agissant de l’égalité professionnelle hommes-femmes dans la fonction publique ?

Il existe un comité de suivi pour l’égalité professionnelle dans la fonction publique qui fait ressortir une amélioration régulière de la situation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le travail doit être poursuivi en favorisant l’intégration de plus de femmes dans les postes à forte responsabilité et dans l’encadrement supérieur, où le déséquilibre est plus marqué. Cela peut passer par du coaching, du mentoring et un meilleur diagnostic des potentiels. Pour la CFTC, il reste un sujet sur lequel nous devons encore progresser, c’est celui des personnes en situation de handicap, qui sont encore insuffisamment accompagnées.

Quel bilan tirez-vous du recours au télétravail dans la fonction publique, accentué durant la crise sanitaire et développé depuis ? Et quelles pistes voyez-vous pour la suite ?

Le télétravail a pris une grande importance dans la fonction publique pendant la crise sanitaire. Cela a permis de rattraper le retard que nous avions et de mettre en place un accord cadre plutôt bien disant. Le télétravail est entré dans l’organisation de la vie des agents publics, il faut maintenant que les méthodes de management évoluent dans ce contexte de télétravail massifié et que l’ensemble des postes qui y sont éligibles puissent être télétravaillés si les agents en expriment le besoin. Il faut encore améliorer la prise en compte des frais laissés à la charge des agents en télétravail et notamment les équipements qui sont nécessaires à l’exercice du télétravail dans de bonnes conditions, à l’identique de ce qui existe sur les lieux de travail chez les employeurs. Les services d’assistance à distance aux télétravailleurs doivent également être renforcés.

Propos recueillis par Bastien Scordia

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